Mots-clés : constructivisme, psychologie, cultures, contextes culturels, pratiques sociales et culturelles, transmission sociale et culturelle, cognition, enaction, connaissances, développement cognitif, enfants d'âges préscolaire et scolaire.

dimanche 1 janvier 2012

Culture(s) humaine(s)

En psychologie, il n'est pas toujours facile de trouver une définition claire de ce qu'est la culture. Par exemple, il ne suffit pas de dire que quelqu'un "est" français, ou bien "est" tahitien, ou bien "est" marocain, etc., pour que cette personne "soit" de culture française, ou bien polynésienne, ou bien arabo-musulmane. C'est pourtant ainsi que l'on procède souvent et cela peut être très utile.
Les ouvrages de Merlin Donald (1991), Les origines de l'esprit moderne (traduit en français en 1999), de Dan Sperber (1996), La contagion des idées, et de Michael Tomasello (1999), Aux origines de la cognition humaine (traduit en français en 2004), peuvent aider à voir plus clair.
Une culture peut alors être définie comme "un système collectif de connaissances et de comportements [qui] reflète les capacités cognitives des individus qui la composent" (Donald, 1999, p. 160). Définie ainsi les frontières d'une culture ne sont plus seulement "ethniques", car la culture est conçue comme une caractéristique de l'espèce humaine (et même de certaines espèces animales: voir par exemple l'ouvrage de Dominique Lestel, Les origines animales de la culture, 2001). Dans ce cas, la question qui est posée au psychologue est de préciser quelles sont les capacités cognitives du groupe d'individus auquel on s'intéresse.
Pour ce qui est des êtres humains (Homo sapiens), globalement, Merlin Donald (1999) distingue tout d'abord ce qu'il appelle une "culture épisodique". Il s'agit de celle de notre ancêtre commun avec les singes et aussi celle des singes d'aujourd'hui. Elle reflète la capacité cognitive à percevoir et à mémoriser des événements ou "épisodes" de la vie quotidienne.
Suite à une mutation biologique, la "culture mimétique" caractérise désormais le genre Homo (Homo erectus, par exemple). Celle-ci reflète la capacité cognitive à imiter autrui, qui est aussi partagée avec d'autres espèces animales, et surtout la capacité de "viser" le résultat de l'action qu'autrui réalise avant que cet objectif ne soit atteint (ce que l'on appelle l'intentionnalité: voir à ce sujet les ouvrages de John Searle, dont Mind, 2004).
Suite à une nouvelle mutation biologique, la capacité cognitive à communiquer avec un langage oral articulé, accompagné de mimo-gestualité, spécificité cette fois d'Homo sapiens, est à la base de la "culture mythique". Le mythe, issu des traditions culturelles dites orales, constitue une première tentative de théoriser le monde.
Enfin, c'est une invention culturelle et non pas une mutation biologique, qui est à l'origine de la "culture théorique" qui caractérise l'Homme moderne, c'est-à-dire vous et moi. Cette invention est l'écriture, ainsi que toutes les autres sortes de systèmes visuo-graphiques (dessins, photographies, sculptures, cartes, vidéos, etc.). Ces créations culturelles sont définies par Merlin Donald (1999) comme des "mémoires externes" dont ne disposent pas les animaux.
Nous n'aurions pas les pensées que nous avons en ce moment, vous et moi, si nous n'avions pas des "mémoires externes" qui les suscitent. Comme le dit Pascal Picq dans son exposé Le propre de l'Homme, si les singes ont beaucoup de choses en commun avec l'Homme, on n'a encore jamais vu un singe faire un exposé scientifique, surtout en écrivant avec un feutre bleu sur un tableau blanc...
 
Il reste à dire que nous sommes probablement en train de vivre une nouvelle transition vers une nouvelle "culture" que l'on peut peut-être qualifier de "numérique". Cette culture reflète la capacité à utiliser principalement des systèmes informatiques multimédias, reliés entre eux très rapidement par l'internet. Ce blog voudrait en être un exemple. On ne connaît pas encore comment les capacités cognitives de l'Homme sont transformées par l'usage de ces mémoires externes d'un type nouveau: il s'agit-là d'un sujet de recherches pour l'avenir. Mais, il semble que "l'architecture cognitive a encore changé, même si le degré de ce changement ne sera pas connu avant un certain temps" (Donald, 1999, p. 370). 
Cela dit, tout être humain d'aujourd'hui est constitué de toutes ces "cultures", c'est-à-dire doté de toutes ces capacités cognitives. Toutefois, on comprend aisément que la "culture théorique" et la "culture numérique" ne s'observent pas de façon similaire, chez tous les êtres humains actuels, puisqu'elles nécessitent l'usage de systèmes culturels de "mémoires externes" qui varie considérablement d'individu à individu et de groupe d'individus à groupe d'individus. Le rôle joué par l'économie et l'éducation, au sein d'une société, apparaît alors primordial pour rendre possible l'émergence de ces capacités cognitives chez les individus qui la composent.
Voilà maintenant un an que ce blog existe. Le compteur de Blogger indique presque 1500 consultations en ce jour de l'An. Ces consultations proviennent du monde entier... ce qui est, pour son auteur, une réelle satisfaction.
Très bonne année 2012, à toutes et à tous, et où que vous soyez!